mercredi 13 mai 2009

Lucky et le tourniquet

Ce soir, je vous parle de deux amis romanciers. Je les ai connus nouvellistes quand nous participions aux concours de nouvelles. Ils ont tous les deux publié trois recueils de nouvelles, côté romans, Georges en a un d'avance sur Emmanuelle qui sortait fin janvier son premier. Et moi, j'ai publié quoi ? Euh, c'est pas le sujet du billet.

Le film va faire un malheur de Georges Flipo
Je craignais le pire avec le second roman de Georges Flipo. On disait ça et là que son livre ferait un excellent film, ce que l'auteur ne démentait pas. En général, les romans qui font d'excellents films m'ennuient profondément. Lire un scénario, c'est pas ma came. Dans la littérature qui m'intéresse, l'histoire n'est qu'un élément, parfois même mineur, voire inexistant. Le style et le point de vue m'importent davantage. Bref, ça partait mal. C'était sans compter sur l'ami Flipo, et son ironie, sa férocité, sa concision, son rythme...
Commençons par les personnages. Alexis Pirief est odieux, lâche, couard aussi. J'adore Alexis Pirief. Sammy Raggi, le malfrat qui va enrôler Pirief dans cette histoire, n'a rien d'un héros non plus. Des personnages qui nous ressemblent en quelque sorte. Et le meilleur rôle revient à Clara. Déjà, dans son premier roman, Le Vertige des auteurs, le personnage féminin, Arlette, avait sur la fin une dimension dramatique intéressante. Ici, avec Clara, il ajoute la classe, la finesse. J'ai rarement lu un portrait aussi subtil. Le lecteur ne peut que tomber amoureux de Clara.
Ensuite, le style. Concis, juste, intelligent. Georges abhorre le gras, surveille la ligne de son style. Je lui en suis reconnaissant. Manger, bouger, comme ils disent à la radio.
Et puisque l'on parle de bouger, cela nous amène à l'histoire, puisque Georges aime raconter des histoires. C'est un peu alambiqué tout ça, ça part dans plusieurs directions. Une histoire pareille où les rebondissements arrivent à chaque chapitre, où le rythme est rendu plus vif avec un style concis, me fait penser à un tourniquet. Lorsque l'on monte sur un tourniquet, qu'on est lancé à vive allure, le risque est de devenir nauséeux (ou malaucoeureux comme on dit en Normandie) ou complêtement étourdi à ne plus marcher droit. Heureusement, je n'en suis sorti qu'étourdi, ouf ! mais grands Dieux, ça dépote ! Très bonne fin aussi.
J'ai donc, en tout objectivité, beaucoup aimé le livre de Georges. Et j'attends le prochain avec impatience.
Quatre points néanmoins : 1) j'ai immédiatement vu l'entourloupe avec la photo de Babacar Diop ; 2) prendre la Golf pour aller de la rue Amiral de Maigret à Trouville au Tennis-Club, c'est a-bu-sé comme disent les jeunes ; 3) la ville de L***. Les noms de villes sont indiqués partout dans le roman sauf pour la ville de L***. Pourquoi ? Peur du maire ? Pour moi, c'est Lisieux, point barre, et tant pis pour le maire (qui n'est pas sénateur, d'ailleurs) ; 4) la partie africaine vers la fin, m'a paru too much.
Précisons qu'il a paru au Castor Astral, une excellente maison d'édition.


Tu devrais voir quelqu'un d'Emmanuelle Urien
Emmanuelle Urien a écrit trois recueils de nouvelles aussi bons que noirs, je cite : Court, noir, sans sucre chez l'Être minuscule, Toute humanité mise à part chez Quadrature et La Collecte des monstres chez Gallimard. Elle passe au roman avec Tu devrais voir quelqu'un (bravo pour le titre, au passage).
Sans détour : j'ai adoré le premier roman d'Emmanuelle. Cela correspond exactement à mes goûts littéraires. Janvier, le personnage qui fait irruption dans la vie de Sarah, m'a fait immédiatement pensé à Lucky le personnage de Beckett dans En attendant Godot, peut-être parce qu'il ne parle pas, qu'il est drôlement vêtu, je ne sais pas.
C'est noir, parfois drôle, et totalement maîtrisé. Intelligence du premier chapitre contre la chronologie (j'ai pensé à Toussaint), les insultes fortes et indispensables (parfait, ce "sale petite pute" violent mais adapté), l'italique omniprésent qui finalement rend la lecture plus fluide, les petites trouvailles comme celle du déjeuner par ordre alphabétique. Et là aussi pas de gras, les os à vif même, la douleur à l'état pur : la douleur de l'amour et la douleur de l'écriture, et dans les deux cas, douleur se conjuguant avec solitude. De la belle ouvrage.
Pour être complet, je me dois de parler de la fin, une fin de nouvelliste, idéale. Je parle ici de l'idée de la fin, car tout de même, ce dernier chapitre, c'est vraiment dommage : l'idée est là, seulement il manque les bons mots. C'est pour moi la seule déception à la lecture de ce roman, le style ici marque un peu le pas, en-deça des autres chapitres.
Emmanuelle est nouvelliste, rappelons-le, et en écrivant un premier roman de cette qualité, elle court le risque qu'on lui en réclame un second. J'en fais partie. Après le quatrième recueil alors, d'accord ?
Précisons qu'il a paru chez Gallimard, un petit éditeur prometteur.

Demain (ne rigolez pas), je vous parle de Françoise Guérin et de Manu Causse.
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En me relisant, je me rends compte que j'ai oublié de citer les recueils de Georges : La Diablada et Qui comme Ulysse chez Anne Carrière et L'Étage de Dieu chez Jordan (Belgique)

jeudi 7 mai 2009

Parlons (encore) de Chevillard

Encore ? Vous vous dites que Garot va encore parler de Chevillard. Bah oui, et deux fois même. Vous vous dites aussi que c'est une affaire entendue, il va nous servir du dithyrambique, il ne peut pas cracher dans la soupe, si on parle de Garot sur les blogs c'est uniquement à cause des 807, donc de Chevillard. Bah non. Je dirai du bien de Nisard, certes, mais beaucoup moins de l'Autofictif.

Démolir Nisard d'Éric Chevillard
PourDémolir Nisard d'Éric Chevillard Démolir Nisard, c'est la faute à Pierre Ménard et sa page 48. Je n'allais pas lire une seule page du livre. J'ai donc lu ce Nisard en entier. Et j'ai trouvé ça très drôle. Jamais une lecture m'avait autant amusé.
Beaucoup d'ironie, d'autodérision, une grande dose de mauvaise foi. Je suis assez fan de petits détails comme le magasin de vêtements situé à Gap, j'aime bien les images (enfin les sons) commes les riffs de guitares annonçant les auteurs américains. C'est du très bon travail. Évidemment, lorsque l'on part tambour battant pour faire la peau à Nisard, qu'on use de toutes les ficelles, le risque, c'est de manquer de souffle sur la distance, c'est ainsi qu'un peu avant la fin, j'ai touvé la partie sur le Convoi de la laitière faible par rapport au reste. Un passage à vide dans le marathon ? Nisard aurait-il finalement influencé le style de Chevillard ? Une annonce de la suite ? Heureusement, il reprend la course, plus lentement, plus sérieux, pour un final logique et bien écrit.
Sur les 807, j'écris que je suis partagé entre l'admiration et la totale incompréhension. Disons Nisard pour l'admiration et le hérisson pour l'incompréhension.

L'Autofictif d'Éric Chevillard
L'Autofictif d'Éric ChevillardLe malicieux François Bon m'ayant signalé qu'Éric Chevillard copiait de manière éhontée le blog des 807 (article ici), je me suis empressé de me procurer l'Autofictif. Après vérification, il n'apparaît qu'il n'aurait pompé qu'un seul 807, le premier. Je prévois néanmoins un second emprunt, ce sera le premier du tome 2.
On trouve de bonnes choses dans ce livre, mais le support ne me semble pas adapté, je conseille à Éric Chevillard d'ouvrir un blog, je pense que ça peut marcher. Allez, devenons sérieux...
On trouve de bonnes choses donc, mais aussi des superflues, des contextuelles (alors que le contexte n'est pas signalé par des notes). Je suis quelque peu perplexe sur ce livre. Et l'auteur nous dit dans une interview (expresse) publiée sur le site de l'Express :
La lecture du livre curieusement ne redouble pas celle du blog, parce qu'un livre par nature n'appartient plus au temps, il s'affranchit de sa loi. Je trouve donc pour mon compte passionnant d'observer ce qui change dans un même texte tour à tour soumis à l'épreuve du présent sans lendemain du blog puis à ce hors-temps du livre.

Mouais. Je serais plus enclin à penser, sauf son respect, qu'il nous prend pour des débiles. Je vois l'histoire différemment, un éditeur lui propose de sortir son autofictif en livre, il dit, "ouais pourquoi pas, sauf que j'ai pas de temps à consacrer à ces conneries" (oui, j'imagine qu'il ne parle pas comme il écrit). Résultat, aucune correction, aucune note, aucun tri, on sort direct le blog en livre, à un prix qui me semble déraisonnable.
L'argument hors-temps ne tient pas. Qui, dans trente ans, se souviendra encore d'Alexandre Jardin ? Alors que je suis certain qu'on parlera toujours de la joggeuse au petit caleçon court, du gros célibataire et de la délicieuse Agathe.
Je suis déçu, le livre ne tient pas les promesses du blog, un livre superflu je trouve (malgré les pépites qu'il contient), un best of m'aurait davantage convenu (sans Alexandre Jardin, Régine Deforges, Ingrid Betancourt, Jean-Louis Ezine...).

Démolir Nisard a paru aux Éditions de Minuit : http:/ww.leseditionsdeminuit.com/
L'Autofictif a paru à l'Arbre Vengeur : http://www.arbre-vengeur.fr/

Demain, je vous parle de Georges Flipo et d'Emmanuelle Urien.

mardi 5 mai 2009

Vous écrivez ?

On me posait récemment cette question : en ce moment, vous écrivez ?
Ma réponse fut : non, je lis. Les lecteurs de ce blog ont maintenant une idée de ce que j'écris, certainement moins de ce que je lis. Alors ?

Je pourrais vous parler des écrivains que je n'ai jamais lus et que je ne souhaite pas lire. Seulement, je passerais auprès de 90% des Français, soit pour un Martien, soit pour une personne qui ne s'intéresse pas à la littérature. Je ne vous parlerai donc pas de Marc Lévy, Guillaume Musso, Stieg Larsson, Bernard Werber... Il y a aussi des auteurs que j'ai lus une fois, et que, juré craché, je ne relirai plus. Je ne vous parlerai pas d'Alexandre Jardin, Jean d'Ormesson, Amélie Nothomb... Je préfère parler de ceux que je lis.

Pour commencer, les amis, comme Françoise Guérin, Emmanuelle Urien ou Georges Flipo, et des écrivains moins connus comme Éric Chevillard, Emmanuel Carrère, Jean Echenoz ou Olivier Adam. Listes non-exhaustives. Mes lectures se partagent équitablement entre recueils de nouvelles et romans. Du théâtre et de la BD parfois, très rarement de la poésie.

Pendant les quelques jours qui suivent, je vous fais un petit compte rendu de mes lectures ces dernières semaines. N'ayez crainte, ce blog ne se transforme pas en blog de lectrice. Elles le font mieux que moi, et lisent davantage aussi. Je commence aujourd'hui par Magali Turquin.

Innocent de Magali Turquin
Ce court livre de 63 pages m'a été conseillé par mon libraire à la faveur d'une séance de dédicace à laquelle finalement je ne suis pas venu, ni même l'auteur. Ce récit plutôt destiné aux jeunes (oui, je me crois encore jeune) se lit d'une traite, comme une longue course, celle du narrateur qui fuit ses bourreaux pendant le génocide rwandais, et mêle l'époque du génocide avec le présent, le temps du souvenir, de l'héritage, où l'on apprend que si on peut échapper temporairement à la mort, les souvenirs, eux, hanteront toujours les rescapés, à cause des absents notamment. L'auteur mêle assez naturellement les causes du génocide, la description de l'horreur et les questions sur l'après, le pardon, comment survivre à un tel carnage. Le choix de la fluidité du style et du rythme sont les bienvenus pour un sujet aussi grave.
Voilà un excellent livre pour expliquer le génocide rwandais à nos chères têtes blondes. Les adultes pourront bien sûr lire Une saison de machettes de Jean Hatzfeld, d'ailleurs Magali Turquin le mentionne à un moment. Accessoirement, ce livre m'a inspiré un 807, le numéro 158 (je vous l'accorde, j'ai fait mieux).

Le livre a paru aux Editions du Jasmin : http://www.editions-du-jasmin.com/
Retrouvez l'auteur sur son blog : http://magaliturquin.hautetfort.com/

Demain, je vous parle (encore) de Chevillard.