dimanche 24 janvier 2010

DCCCVII.2

Comme le dirait sûrement Darius, le personnage du jubilatoire roman d'Arnaud Le Guilcher En moins bien, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Alors, la saison 2 des 807 vient de commencer.
Quelques changements, l'adresse d'abord. Ensuite, pour m'épargner du travail, un seul auteur chaque jour et pas de traduction de nombres, mais un titre. Chaque publication est un triptyque, avec un 807 parmi les propositions de la triplette, j'ouvre aussi les commentaires, mais si les trolls rappliquent, je ferme.
Ce qui ne change pas : l'heure de publication, 8 h 07, l'adresse mail pour participer (les807 chez free.fr) et je reste l'éditeur et correcteur, le gars un peu pénible qui demande parfois aux participants de revoir leur copie.
J'espère que cette nouvelle formule permettra de belles choses. Et la triplette du jour est inspirée de cette photo (la Maison Blanche a demandé le retrait de cette pub).

De la publicité

dimanche 17 janvier 2010

Des pancakes pour Mauvignier

Ce soir, je ne vous parlerai pas du roman de Laurent Mauvignier, Des hommes.

Non, je ne vous en parlerai pas, mais vous pouvez en écouter la page 48. Et puis, pour continuer de ne pas en parler, j'ai écrit un pastiche, Des pancakes, où je donne une suite à mes histoires de doughnuts. Qu'il pardonne le scribe, comme le dit Manu. Car il ne faut pas en parler, du roman de Mauvignier : il faut le lire. Et plutôt que d'obliger les gamins à assister à une lecture de la lettre de Guy Môquet, il faudrait imposer la lecture des Hommes de Mauvignier aux lycéens. Ce livre est mon Goncourt. Mais à continuer dans cette veine (rappelons Dans la foule), c'est le Nobel qu'on va lui donner. Évidemment, Des hommes fait mal à l'humanité qui nous reste, c'est justement ce qu'on demande à la littérature.

Et si vous avez encore faim, je vous propose quelques pancakes. Et pas d'illustration ce soir, juste des mots, ne pas distraire le lecteur.



Des pancakes
(à la manière de Laurent Mauvignier)

Ce regard quand elle est rentrée et qu’elle m’a vue dans sa cuisine avec ses filles, quand elle m’a vue leur préparer des pancakes. Ce même regard qu’elle adressait à son père avant, plein de haine et de peur. Et moi, dans sa cuisine. Moi ne sachant que faire de ce regard, incapable de le soutenir, cherchant à désamorcer une charge que je sais imminente.
Ce sont les petites qui –
Ce ne sont plus des gamines ! Elles ont quinze ans.

Ne pas insister, continuer à préparer les pancakes, chercher la confiture de cranberries dans les placards, et ne pas trouver, ouvrir des portes, en vain. Les petites ne disent rien, n’osent rien dire, elles attendent. Mary est restée à l’entrée de la cuisine, me jaugeant, se demandant sûrement ce qu’elles ont bien pu me raconter, imaginant un complot alors que.

J’ai pensé qu’il faudrait que j’explique ma présence dans sa cuisine aujourd’hui, lui décrire la voix de Maureen au téléphone ce midi, et Caryn que j’entendais sangloter à côté (devinant qu’elle relevait inlassablement sa mèche tombante à chaque hoquet), lui dire que j’avais entendu un appel au secours, pas le récit d’une dispute entre une mère et ses filles, que – enfin, non, pas la force de me justifier – alors plutôt parler des faits,
Elles m’ont parlé de leur père –
Mais ce n’est pas leur père !

Elle entre dans la pièce et s’affaisse sur la première chaise, plus fatiguée qu’exaspérée.

Je me souviens très clairement de Ray, ce père qu’elles viennent de retrouver, ou trouver. Je ne me rappelle pas de son nom, seulement de son visage, assez laid. Il était venu deux ou trois fois à la maison avec Mary. Ils formaient un drôle de couple : lui avec sa tête de premier de la classe binoclard, maigre et blanc comme un linge, et ma fille, grasse, renfermée, des idées comme sa peau ébène. Nous n’étions pas certains qu’ils se fréquentaient vraiment. Quel était son nom déjà ? Ray... Je demande à Mary, Maman, ne t’y mets pas. Ce n’est pas le père des jumelles. Je l’ai vu tout à l’heure. C’est impossible.
Je me rappelle très bien quand elle nous avait annoncés qu’elle était enceinte à son père et à moi. Elle n’a jamais voulu nous dire qui lui avait fait ça. La fureur de son père alors. Comme il l’avait battue, j’avais dû appeler les voisins pour le maîtriser, il était devenu fou, il hurlait : c’est quoi son nom à ce fils de pute ? C’est quoi son nom à ce fils de pute ? Bordel ! Et elle, effrayée : je sais pas Papa, je te jure, et lui redoublant les coups, les postillons accompagnant les questions, jusqu'à cracher ses questions : qui a osé ? Qui a osé toucher ma petite fille ? Personne papa, je te jure, personne.

Elle n’a jamais voulu nous dire.

Jamais.

Elle reprend : ce Ray veut être le père des filles, il m’a menacée d’un procès. Je n’ai pas les moyens pour un avocat, tu le sais. Alors j’ai réfléchis, et je me dis qu’il pourra leur payer leurs études.

Mais quoi. Il faudrait la croire ? Croire qu’elle accepterait pour le bien des petites. Les petites qui restent dans leur mutisme, incrédules, ne sachant s’il s’agit encore d’une manœuvre. Déchirées entre la joie et la crainte. Moi-même, je me demande si Mary est sérieuse, ou si elle n’avoue pas là avec cette histoire d’avocat pour sauver la face – sa face au bord du naufrage, je le vois –, que ce Ray est effectivement le père des petites. Et ce silence qui s’installe alors. On entend une sirène de pompiers dehors, un pancake grésiller dans la poêle derrière moi, et nos quatre cerveaux endoloris cherchant une issue à cette discussion.

Une issue.

Bon, je te sers un pancake ?
Non merci, j’ai déjà mangé des doughnuts avec Ray.

Et elle fond en larmes.

lundi 4 janvier 2010

Du blog au blog : apprendre à finir

Où l'on parle d'une réponse de Chevillard, où l'on en finit avec Chevillard et où l'on annonce Mauvignier pour apprendre à en finir avec Chevillard, parce que ça suffit : on parle trop de Chevillard ! Maintenant (enfin le 14 janvier), lisons-le.

De blog à blog
L'Autofictif voit une loutre de Éric Chevillard (l'Arbre vengeur)Aujourd'hui, 4 janvier 2010, je prends un an, rien d'exceptionnel, cela arrive tous les ans, et sans aucune fantaisie, toujours à la même date. Si personne n'y a encore pensé (ce serait pourtant le genre d'Éric Faye, ou celui de Bernard Quiriny), je vais écrire une nouvelle sur un personnage dont l'anniversaire change de date chaque année, de manière imprévisible. Enfin, évacuons le non-événement de mes 38 ans (pour le cadeau, choisissez une guitare Vigier Excalibur plutôt que le dernier livre d'Alexandre Jardin) parce que c'est surtout l'anniversaire de la mort d'Albert Camus, et, plus simplement, parce qu'Éric Chevillard publie ceci sur l'autofictif :
On demande parfois à mon éditeur et à moi-même aussi d’ailleurs pourquoi nous publions L’Autofictif en volume. Et l’on s’inquiète : serait-ce purement vénal ? Balayons ce vil soupçon qui ne repose sur rien puisque ni ma famille ni moi non plus n’avons jamais faim aux heures des repas. Je n’ai en conséquence pas besoin de gagner ma vie en monnayant bassement le fruit de mon activité comme le font, toute honte bue, tant de travailleurs cupides des secteurs primaire, secondaire et tertiaire.

Je suis payé cent fois de ma peine par le sourire qui, certains matins, j’ai plaisir à le croire, réjouit la figure blême de mon lecteur accablé par le poids de ses responsabilités professionnelles si insuffisamment rétribuées. Mais j’aime les livres, que voulez-vous, c’est aussi bête. J’aime leurs pages légères et le fil serré qui les relie.

Et donc je leur confie ces mots imprimés une première fois dans la buée que forme notre souffle court sur la vitre de nos écrans.

D'aucuns y lisent une réponse à mon précédent billet. Personnellement, j'en doute, l'écrivain a certainement mieux à faire que de se perdre sur ce modeste blog. Je me permets de reproduire son triptyque pour sa qualité et parce qu'il apporte deux points que j'avais négligés, négligeant que je suis : tout travail mérite salaire (à ce propos, j'ouvrirai cette année le dossier des recueils de nouvelles collectifs), et l'amour du livre. Histoire de clore le sujet, si vous êtes d'accord.

Chevillard, les 807 et moi
Choir de Éric Chevillard (Minuit)J'en profite pour préciser mes relations avec Éric Chevillard : aucune.
Nous ne nous connaissons pas, aucun échange, je ne souhaite pas spécialement devenir son ami, ne refuserais cependant pas de boire des coups avec lui. Quant à son œuvre, je suis partagé entre l'incompréhension (Du hérisson m'est tombé des mains) et l'admiration (Démolir Nisard, j'en parle ici), et ne peux parler de l'un sans préciser l'autre. Je lis quotidiennement l'autofictif, qui m'a inspiré, par jeu et par hommage, les 807.
Et c'est par l'intermédiaire d'une factrice de charme (merci Miss) que je lui ai proposé de terminer les 807. Il m'a félicité et fait parvenir (merci Miss) sa contribution. Je lui en suis éternellement reconnaissant. J'achèterai son prochain roman et le lirai dans l'avion qui me mènera de Paris à New York, et ce, en dépit des risques que je prends en introduisant dans un long courrier à destination des États-Unis un livre intitulé Choir.

C'est le moment de vous donner le fruit de mes réflexions sur une suite des 807 : il n'y aura pas de saison 2. Du moins, ce serait sans moi.

J'ai pensé créer un autre blog chevillardien, Ta gueule Nisard, où les participants donneraient de nouveaux faits et gestes de ce couard de Nisard, sous forme de dépêches ou autres, pour prolonger Démolir Nisard. Seulement, je trouve cela bien prétentieux de vouloir être Chevillard à la place de Chevillard, même s'il y a eu parmi les 807 de belles chevillardises.

Pour finir, le prochain post sera un pastiche de Laurent Mauvignier intitulé Des pancakes, et il est fort possible qu'il soit accompagné d'une lecture versatile.